Chocolats du Monde a eu la chance de participer à la réunion annuelle des chocolatiers Bean to Bar brésiliens, qui a eu lieu à Sao Paulo le mois dernier, suivie d'une visite des producteurs de cacao de Bahia. Notre expert cacao préféré, Sacha, a ainsi pu mêler plaisir et travail avec une aventure humaine et gastronomique unique, portée par des centaines de personnes que nous ne sommes pas près d'oublier.
Avant notre arrivée au Brésil, nous avions en tête quelques grands noms du chocolat brésilien, tels que le cacao sauvage de Luisa Abram ou encore le Tree-to-Bar de Baiani de Bahia. Mais nous avons découvert une réelle effervescence locale dans le monde du chocolat artisanal.
Engouement Bean-to-Bar et Tree-to-Bar
En effet, l'association du Bean to Bar brésilien compte aujourd'hui plus de 60 chocolatiers enregistrés, mais il est estimé, selon le chocolatier Nicolas Danaux (Chocolats Nicolas), que localement plus de 300 petits ateliers travaillant la fève directement ont vu le jour sur tout le territoire. Les raisons de ce développement résulte d’une convergence entre la tradition et la politique.
Coffret de Association bean to bar bresilien 2023
Le Brésil, suite à différentes crises sanitaires, dont la maladie de la balai de la sorcière (champignon se propageant par spores et dégradant la qualité des fèves provoque la perte de 30%-100% des fèves), et une pointe de protectionnisme, a décidé de rendre difficile l'importation de fèves de cacao pour les petites structures. Riche de sa culture ancestrale du cacao, les chocolatiers se sont naturellement tournés vers une origine locale pour développer leur palette aromatique. Cette relation a permis la naissance d'une relation fusionnelle entre les cacaoculteurs et les chocolatiers, lorsqu'ils ne jouent pas les deux rôles (Tree-to-Bar).
Ferme de «Cabruca» au brésil dans le cœur de Bahia
En discutant avec Bruno Lasevicius (président de l'association Bean to Bar et propriétaire de Casa Lasevicius Chocolate), nous avons découvert que le terme "micro batch" (micro-production) prend tout son sens au Brésil. Les chocolatiers locaux ont développé une flexibilité immense en créant des gammes éphémères de chocolat variant de 20 à 90 kg pour tester le travail de fermentation des cacaoculteurs et les encourager à faire la transition vers le cacao aromatique. Le cacao est souvent rémunéré 10 fois plus que le cacao standard (le prix dépendant du cours fluctuant du cacao). Pour en découvrir plus sur ce sujet, nous conseillons de consulter le travail exemplaire d'une poignée d'individus sur le terroir de Tuerê avec l'association Solidaridad dans l'État du Pará.
Le cacao Brésilien
Le Brésil a souvent souffert d'une mauvaise réputation sur le marché aromatique du cacao. Sa production a fluctué de manière colossale, passant de plus de 400 000 tonnes dans les années 80 à environ 200 000 tonnes aujourd'hui. Cette variation importante a causé des scissures dans la culture et la transmission du savoir-faire dans certains États, préférant se tourner vers des productions plus lucratives (café, élevage, etc). Cette variation de production a été provoquée par la chute des prix du cacao sur le marché mondial, les prix n'étant pas bloqués comme au Ghana et en Côte d'Ivoire, et les crises sanitaires (balai de la sorcière). Ainsi, la situation actuelle de la production du cacao brésilien est très hétérogène. Ce pays au vaste territoire est porteur de trésors fabuleux et connaît une division écologique aussi : le biome de la forêt atlantique (à l'Est du pays) et le biome amazonien a Ouest et Centre. Parlons donc du terroir ! (ce qui nous tient toujours à cœur).
Forastero parazinho a Bahia
Coté Amazonie
Pará
Para connais beaucoup d’origines, nous voulons vous présenter le cacao de Tuerê est un véritable trésor qui a été couronné de nombreux prix internationaux en raison de sa qualité exceptionnelle et de son origine distincte. Il trouve ses racines dans un terroir niché au cœur de l'État de Pará, en Amazonie brésilienne, où des centaines de familles d'agriculteurs cultivent le cacao avec un engagement durable envers l'environnement en agroforesterie (AFS). Ce cacao est devenu une source de fierté nationale et un exemple éclatant de réussite pour le secteur du cacao de qualité et du chocolat bean-to-bar au Brésil. La culture du cacao aromatique n’a jamais cessé à Pará facilitant grandement l'intégration de ce terroir au mouvement Bean-to-Bar du au savoir-faire locale maintenue mais durant les années basses du cacao.
Ce terroir a été propulsé sur la scène internationale du bean-to-bar brésilien grâce à l'initiative du chocolatier Bruno Lasévicius, qui a joué un rôle essentiel dans sa reconnaissance et a contribué à améliorer les processus de fermentation localement, collaboration avec des organisations telles que Solidaridad en testant les les fameux micro batch . Reconnu parmi les 50 meilleures fèves de cacao au monde par Cocoa of Excellence, le terroir brésilien de Tuerê a déjà accumulé 18 récompenses et est devenu une source de plus en plus prisée pour le cacao de haute qualité utilisé dans la fabrication de chocolats fins. Les fazendas locales, telles que celles de Waldomiro, João Evangelista, Francisco Cruz, commencent à émerger et à prendre leur place sur le marché mondial du cacao aromatique.
Aujourd'hui, ce terroir se manifeste à travers les créations chocolatières de Bruno de Casa Lasévicius, C'alma, Tropical Utopia, Mission Chocolate, la brigaderie et bien d'autres encore.
Le cacao sauvage de rivière
L'Amazonie est traversée par de nombreux fleuves, connectant les forêts péruviennes, équatoriennes et brésiliennes. Ces rivières charrient lentement de l'eau du haut bassin de l'Amazone, qui nourrit le poumon du monde vers la mer à l'est. Berceau de la naissance du cacao, le bassin de l'Amazonie regorge de petits arbres à cabosses qui poussent de manière spontanée. Les fèves sont déplacées par les éléments et les animaux, encourageant le croisement et la variation génétique dans cette immense région. De plus, les cycles de crues font déborder les fleuves qui s'engouffrent dans la forêt pendant plusieurs mois, fertilisant les sols de manière régulière.
Zone où pousse le cacao sauvage dans la vallée de Juruá, Acre (Photo : SOS Amazônia)
En 2016, l'ONG SOS Amazônia a lancé le projet "Amazon Values" cherchant à valoriser de manière durable les forêts amazoniennes pour les communautés locales. Le projet implique neuf coopératives le long des rivières de la Haute Amazonie, comme le Juruà, le Purus, Acarà, le Tocantins, et d'autres. Le projet a initié les communautés vivant le long des rivières à la culture de plantes sauvages telles que le caoutchouc, des huiles comme le Murumuru, et surtout le cacao. La coopérative Coopercintra, aidant les communautés du fleuve Juruá, a initié 26 familles à la collecte et à la culture du cacao sauvage. En 2018, avec le succès de la récolte de cacao et son importance pour les revenus des personnes impliquées, 16 nouvelles familles ont rejoint le projet. Cet effort de développement de terroirs sauvages a été accompagné par la chocolatière Luisa Abram, qui a voulu construire son chocolat autour de l'idée d'un cacao d'Amazonie, là où il prolifère naturellement. Pour cela, elle a tissé des liens étroits avec les communautés, les associations, et les coopératives. Le cacao issu de ces rivières de naissance ne cesse de nous surprendre en révélant de nouvelles génétiques jamais rencontrées, comme le cacao appartenant à la famille des amélénacées du fleuve Acarà.
Coté forêt atlantique
Bahia
Le cacao de Bahia occupe une place prépondérante dans l'industrie cacaoyère brésilienne, représentant environ 90% de la production nationale. Cultivé dans la région de la Forêt Atlantique, un biome riche en biodiversité et menacé par la déforestation, le cacao de Bahia se distingue par sa diversité génétique, sa qualité et son potentiel pour la production de chocolat haut de gamme. Cette région a été le berceau du célèbre cacao Forastero Amelonado, qui a pris racine dans l'ouest du pays sous l'impulsion des Portugais au cours des années 1850. Parmi les variétés de cacao cultivées à Bahia, on trouve le Catongo (cacao blanc, produisant un chocolat noir couleur lait), le Forastero et le PS 1319, des hybrides sélectionnés pour leur productivité et leur résistance aux maladies. Malheureusement, la production locale a connu des fluctuations importantes, notamment en raison de la maladie du balai de sorcière, qui a gravement affecté une grande partie de la production. Aujourd'hui, des initiatives ont été lancées pour recentrer la production vers le cacao aromatique et revitaliser la filière, qui perd du terrain face à la culture du café et de l'élevage, comme le projet FAEV SENAR SINDICATOS à Porto Seguro, grâce au travail d'Elen Santos. Cette ingénieure agronome travaille en étroite collaboration avec des producteurs de cacao pour les aider à intégrer à leurs productions de petites unités de fermentation, leur permettant ainsi de produire du cacao aromatique directement sur leur ferme.
Elen Santos, ingénieure agronome a Seguro
Bahia est également réputée pour avoir été le berceau du système agricole appelé «cabruca». Ce système d'agroforesterie favorise la préservation de la diversité en permettant la culture du cacaoyer à l'ombre d'arbres d'une forêt native éclaircie, sans déforester. Le sud de l'État de Bahia et le nord de l'État d'Espírito Santo voisin se distinguent par leur incroyable richesse en biodiversité. Une étude a comparé la diversité des arbres dans 22 forêts tropicales à travers le monde, plaçant cette région au deuxième rang en termes de biodiversité, avec un taux d'endémisme d'arbres pouvant dépasser les 25%. Malheureusement, au sud de Bahia, il ne reste plus que 6,5% de forêt primaire, et les efforts de préservation sont de plus en plus essentiels pour protéger cet écosystème unique.
Nous avons eu l'opportunité de visiter la ferme de Patricia, fille de cacaoculteurs, qui a repris les rênes de la magnifique ferme de plus de 200 hectares. L'intégralité de sa ferme est en «cabruca». De plus, elle est l'une des rares plantations certifiées biologiques, héritage du travail de son précurseur à l'époque. Cependant, le système «cabruca» est extrêmement contraignant légalement, empêchant les producteurs de couper des arbres. Aujourd'hui, ce type de ferme souffre d'une mauvaise réputation en raison de sa faible productivité. Patricia, à travers sa marque de chocolats Modaka, située à même la ferme, essaie de réconcilier l'engagement environnemental et économique.
Système «Cabruca» a Bahia
Espírito Santo
Le cacao d'Espírito Santo au Brésil se distingue par sa production de chocolat de haute qualité, contrairement à sa voisine Bahia, qui est davantage associée à la production de cacao destiné à l'industrie (désignation en phase de changement grâce au Bean-to-bar), à partir de fèves de cacao de type trinitario et favorisant localement. Espírito Santo, entourée par la forêt atlantique, bénéficie d'une géographie unique, située entre plages et montagnes, dans le sud-est du Brésil, ce qui en fait un État autrefois très forestier.
Cependant, tout comme les États de Rio de Janeiro et Bahia, Espírito Santo est menacé par la déforestation, qui compromet ce qui reste de la forêt atlantique. Des initiatives telles que la cabruca ou l'agroforesterie cherchent à atténuer l'impact de la culture du cacao sur la région, en préservant au mieux l'écosystème local.
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