La Côte d'Ivoire, géant méconnu du cacao


Chocolats du Monde revient d'un voyage en Côte d'Ivoire où Sacha Malka a pu explorer la filière de ce géant du cacao.

La Côte d'Ivoire est un vaste pays d'Afrique de l'Ouest et le premier producteur mondial, fournissant 40 % du cacao sur le marché international. En traversant ce pays de l'est à l'ouest, vous rencontrerez d'innombrables petits arbres aux grandes feuilles vert tendre. Si, à ce jour, la fève de cacao est présente à tous les échelons de la société comme un moyen de subsistance pour de nombreux Ivoiriens, elle est aussi un sujet sensible et extrêmement régulé pour l'économie du pays.

Dans cet article, Sacha vous emmène à découvrir les caractéristiques ainsi que l'histoire de cette terre du cacao qui est aujourd'hui, elle aussi, menacée par des bouleversements climatiques et agronomiques lesquels ont réduit sa production de plus de 33 %.

 

 

Comment est produit le cacao ivoirien et quel est son profil aromatique ? 

 

La dénommée "ceinture du cacao" est une zone géographique située autour de l'équateur (20° Nord et Sud) qui traverse la Côte d'Ivoire. A cet endroit, les terres d'est en ouest sont propices à accueillir la production de cacao. Cette particularité climatique en fait le lieu parfait pour sa culture. L’histoire du cacao en Côte d’Ivoire est profondément liée à l’époque coloniale, marquée par l’arrivée des Français à la fin du XIXe siècle. Lorsque la Côte d’Ivoire est devenue une colonie en 1893, l’économie était principalement basée sur la production de caoutchouc, d’huile de palme, et de quelques cultures vivrières. Cependant, dès le début du XXe siècle, les colons ont identifié le potentiel du cacao comme culture d’exportation rentable, à l’instar de ce qui s’était fait au Ghana, pays voisin d’où viennent la plupart des cultivars. Ce sont ces mêmes cultivars qui avaient été importés par les Portugais du Brésil via São Tomé et Bioko.

 

 Coopérative de cacao, séchage et mélange des productions

 

Début de la culture du cacao (1900 - 1930)

La culture du cacao a véritablement pris son essor au début des années 1900. À l’époque, le développement du cacao était encouragé par le gouvernement colonial, qui voyait dans cette culture un moyen de générer des revenus significatifs grâce à l’exportation. Pour promouvoir la culture du cacao, l’administration coloniale a mis en place des politiques agricoles favorables, comme la distribution gratuite de plants de cacao et l’assistance technique aux petits planteurs locaux, contrairement aux colonies portugaises qui construisaient de grandes plantations “roça” fonctionnant au détriment d’esclaves. Cependant, l’engouement pour cette culture était encore limité, car les producteurs ivoiriens n’étaient pas encore familiarisés avec le cacao et préféraient se consacrer aux cultures traditionnelles et vivrières. "Le français Arthur Verdier fut le premier à vraiment apporter de la valeur à la région d’Assinie (premier comptoir français en Côte d’Ivoire) à partir de 1870. Sous l’impulsion de Verdier, les premiers caféiers furent plantés en 1881 et la culture du cacao commença au même moment."(2)

 



Expansion sous l’influence coloniale (1930 - 1960)

Dans les années 1930, le gouvernement colonial a intensifié ses efforts pour accroître la production de cacao. Une grande partie de cette expansion a été réalisée grâce à la mise en œuvre de politiques coercitives, notamment l’imposition de quotas de production et la mobilisation de la main-d’œuvre. Les populations locales, principalement les Baoulés et les Bétés, ont été encouragées, voire contraintes, à cultiver le cacao. Les autorités coloniales utilisaient des pratiques comme le travail forcé pour créer de grandes plantations et atteindre les objectifs de production. Pendant cette période, de nombreux travailleurs venus d’autres régions de la Côte d’Ivoire ou des colonies voisines ont été recrutés pour travailler dans les plantations de cacao. C’est à cette époque que le cacao a commencé à se s'expandre dans les régions de l’est et du sud de la Côte d’Ivoire, comme les zones d’Aboisso et d’Abengourou.

 

 

 

Le cacao comme moteur économique (1945 - 1960)

Après la Seconde Guerre mondiale, la demande mondiale de cacao a explosé, ce qui a accru davantage la production en Côte d’Ivoire. Les Français ont continué d’investir dans l’infrastructure agricole, construisant des routes et des chemins de fer pour faciliter le transport du cacao vers les ports, notamment Abidjan et San Pedro. Le cacao est devenu un produit clé de l’économie coloniale ivoirienne, représentant une part importante des exportations du pays. Dans les années 1950, la Côte d’Ivoire est devenue le troisième producteur de cacao au monde, après le Ghana et le Brésil. Cependant, la richesse générée par cette culture profitait principalement aux colons et aux grandes sociétés commerciales françaises. Les petits exploitants ivoiriens, bien que nombreux, recevaient des revenus limités et étaient souvent endettés envers les commerçants et les prêteurs coloniaux.


Héritage et transition post-indépendance (après 1960)

Lorsque la Côte d’Ivoire a obtenu son indépendance en 1960 sous la direction de Félix Houphouët-Boigny, la culture du cacao était déjà bien établie dans le pays. Le cacao a continué de jouer un rôle central dans l’économie ivoirienne, et Houphouët-Boigny, lui-même issu d’une famille de planteurs, a encouragé son développement. Le gouvernement post-indépendance a hérité de l’infrastructure coloniale pour le cacao et a cherché à moderniser et nationaliser le secteur, mais les inégalités créées pendant la période coloniale ont persisté, avec une forte dépendance de l’économie sur cette culture d’exportation.

 

Cabosse de cacao "tout venant"



Quels sont les défis auxquels le cacao ivoirien fait face aujourd'hui ?

Désormais, le cacao ivoirien dépend d’un système régulé par le Conseil Café-Cacao, qui définit les prix d’achat de la filière à chaque étape et les modifie pour chaque saison. Ce prix a d'abord cherché à protéger les producteurs et l’économie ivoirienne de la volatilité du marché. Cependant, ce système a été très critiqué car la flambée des prix mondiaux n’a pas bénéficié aux producteurs de cacao, qui ont vu le prix à la ferme augmenter seulement jusqu’à environ 2 USD le kilo, alors que d'autres pays pouvaient vendre à un prix cinq fois plus élevé.
 
Aujourd’hui, les questions de rémunération s’ajoutent aux pertes brutales de production causées par un système de monoculture de cacao standardisé, qui a entraîné une déforestation accrue, réduisant le couvert forestier à moins de 7 % de sa couverture initiale. Dans ces conditions, le changement climatique, avec ses sécheresses et ses fortes pluies, a perturbé la production et rendu le cacaoyer plus vulnérable aux ravageurs et aux maladies. Pour se renouveler, la filière ivoirienne explore de nouvelles pratiques comme l’agroforesterie pour tenter de donner un second souffle à ses producteurs, avec plusieurs grandes initiatives menées par le gouvernement pour augmenter la présence d’arbres d’ombrage sur les plantations. Cependant, les bénéfices de ces politiques ne pourront être observés que dans une dizaine d’années. A ce jour, la filière du cacao subit une forte pression et certains cultivateurs se tournent vers des productions plus stables comme la noix de cajou ou le palmier à huile.

Programme de plantation d’arbres dans les plantations de cacao à Divo


Pourquoi le cacao de Côte d'Ivoire est-il boudé par le monde du Bean-to-Bar ?

Le cacao de Côte d’Ivoire est souvent mal vu par les chocolatiers. Pourtant, c’est le plus répandu : celui que tout le monde a goûté au moins une fois. Il est à la base de vos barres Mars ou de vos tablettes Lindt. Hérité des agronomes coloniaux, le cultivar présent est essentiellement le Forastero, appelé localement "le tout venant" ou "la Mercedes". Il a été essentiellement choisi pour sa productivité et non pour son goût. Aujourd'hui, le producteur ivoirien vit souvent au seuil de pauvreté, ce qui limite ses capacités à améliorer la qualité de sa production. Un autre facteur limitant est la licence nécessaire pour acheter le cacao, délivrée par le Conseil Café-Cacao, qui restreint les acheteurs à quelques grands traders ou aux grands noms du cacao comme Barry Callebaut, Semoir ou Olam. Cela limite l’accès des petits et moyens chocolatiers au marché et fixe les critères de production à des standards destinés à répondre à la demande des géants de l’industrie.

 

Stockage de cacao a Daloa 

 

Source :
- 1. Culture du cacao et déforestation en Côte d’Ivoire. Entretien avec Mohamed Diakité
- 2.  L’histoire du Cacao en Côte d’Ivoir, cacao.ci
- 3. Du cacao à la vanille une histoire des plantes coloniales, Serge Voler

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