Le Cacao et le Chocolat Indonésien : Histoire, Terroirs et Perspectives

L’Indonésie, géant silencieux du monde du cacao, est un colosse agricole qui compte quelque 281 millions d’habitants répartis sur plus de 13'000  îles. Le pays figure parmi les principaux producteurs de cacao, fort d’une histoire riche, de terroirs variés et d’un potentiel aromatique suscitant de plus en plus l’intérêt des chocolatiers. Cet article propose un tour d’horizon de l’histoire du cacao en Indonésie – de l’époque coloniale à nos jours – et met en lumière les différentes régions productrices, la distinction entre cacao industriel et cacao aromatique, ainsi que les défis auxquels la filière est confrontée.

Le cacao indonésien en chiffre  

  • L’Indonésie figure généralement au 3iéme ou 4ième rang mondial des producteurs de cacao (après la Côte d’Ivoire, le Ghana, et parfois à égalité avec l’Équateur).
  • On estime que plus de 1 million d’hectares sont consacrés à la culture du cacao à l’échelle nationale.
  • Plus de 80 % du cacao indonésien provient de petites exploitations familiales, généralement de 1 à 2 hectares.
  • L’île de Sulawesi est le principal bassin de production, représentant environ 60 à 65 % de la production totale du pays.

 

L’arrivée du cacao en Indonésie, l’époque coloniale

Les richesses naturelles de l’archipel indonésien ont longtemps attisé les convoitises, et ce bien avant l’époque moderne. Dès le XVIe siècle, les puissances européennes – notamment les Portugais, les Anglais et surtout les Néerlandais – convoitent les îles pour leurs précieuses épices : muscade, poivre, cannelle, clous de girofle, mais aussi café, sucre de canne et vanille. Ces ressources suscitent conflits, alliances éphémères et luttes de pouvoir sur l’ensemble du territoire.

L’influence néerlandaise s’affirme au XVIIe siècle, avec la création en 1602 de la VOC (Vereenigde Oost-Indische Compagnie), à qui le gouvernement hollandais confère des pouvoirs quasi souverains, y compris celui de faire la guerre en Asie. La ville de Jayakarta, rebaptisée Batavia (aujourd’hui Jakarta), devient le siège de cette puissante compagnie. Les Néerlandais finissent par évincer les Portugais des Moluques et établir leur domination sur l’archipel.

Au fil des siècles, et surtout après l’ouverture du canal de Suez à la fin du XIXe siècle, la présence hollandaise s’intensifie. La Hollande annexe progressivement les territoires indonésiens et impose dès 1830 la politique de culture forcée, destinée à répondre aux besoins économiques de la métropole. L’Indonésie devient alors une colonie à part entière, entièrement tournée vers l’exportation agricole.

C’est dans ce contexte que le cacaoyer (Theobroma cacao) est introduit, d’abord par les Portugais, puis développé par les Néerlandais. Les jardins botaniques, notamment celui de Bogor (anciennement Buitenzorg), jouent un rôle clé dans l’acclimatation des plantes exotiques. Si la culture du cacao reste initialement marginale, dépassée par celle du café ou de l’hévéa, elle gagne en importance grâce à la fertilité des sols volcaniques et à une demande mondiale en constante hausse.

 

Gravure célébrant indépendance de 1945

 

Après l’indépendance indonésienne, l’évolution de l’industrie


Après l’indépendance de l’Indonésie en 1945, le gouvernement a multiplié les réformes agraires et encouragé une diversification des exportations agricoles. La filière du cacao a ainsi connu un essor progressif, porté par des investissements privés, la création de coopératives de petits producteurs et l’essor d’une demande internationale de chocolat. Aujourd’hui, le pays figure parmi les tout premiers producteurs mondiaux de cacao avec la 3 ieme place. Selon des données publiées ces dernières années, la production annuelle indonésienne oscille généralement entre 500 000 et 650 000 tonnes de fèves, un volume qui la place aux côtés de grands acteurs africains comme la Côte d’Ivoire et le Ghana.

 

Les régions productrices de cacao en Indonésie

Le cœur de la production se trouve principalement à Sulawesi, où l’on privilégie un cacao majoritairement “bulk”, c’est-à-dire destiné à l’industrie du chocolat de masse. D’autres îles comme Sumatra, Java, Bali ou encore certaines zones de Papouasie contribuent également à l’approvisionnement national, chacune offrant des terroirs distincts. Le climat tropical chaud, une pluviométrie variable et la forte activité volcanique confèrent aux fèves des caractéristiques gustatives qui peuvent varier sensiblement d’une île à l’autre. Si l’on retrouve majoritairement le type Forastero, plus résistant et productif, certains producteurs s’efforcent de préserver des variétés plus anciennes ou d’adopter des méthodes de post-récolte soignées pour révéler des arômes fruités, épicés ou floraux.

  • Sulawesi: C’est l’une des régions phares de la production cacaoyère indonésienne. La culture intensive y est largement pratiquée, souvent orientée vers un cacao dit “bulk” (pour l’industrie de masse).
  • Sumatra : L’île de Sumatra propose des terroirs divers (notamment les régions d’Aceh et du Lampung) et cultive à la fois du cacao de type Forastero et de type hybride.
  • Java : Historiquement l’une des premières régions à accueillir le cacao, Java est réputée pour ses terres volcaniques et un climat assez stable favorisant des arômes assez doux.
  • Bali : Île plus connue pour sa culture touristique, Bali produit aussi un cacao souvent mis en avant pour sa qualité, ses notes fruitées et sa douceurs.
  • Papouasie : Production plus restreinte, mais en développement, avec des saveurs parfois plus exotiques, car le terroir est encore peu exploré à grande échelle.

 

Carte de l'archipel d’Indonésie

 

Le cacao industriel d’Indonésie


Une large part du cacao indonésien est traitée de manière industrielle, avec une fermentation et un séchage souvent accélérés, destinés à fournir de grandes quantités pour la production de chocolat à l’échelle internationale. Toutefois, un mouvement plus qualitatif émerge depuis quelques années. Plusieurs coopératives, soutenues par des partenaires locaux et étrangers, misent sur des techniques de fermentation contrôlée, un séchage minutieux et une meilleure traçabilité. Ce travail de sélection favorise la production de cacao dit “aromatique” ou “de spécialité”, qui attire l’attention de chocolatiers bean-to-bar en quête de saveurs spécifiques et de partenariats durables.

 

Source MCC - Promouvoir la production durable de cacao en Indonésie

 

Le cacao aromatique d’Indonésie


Dans cet élan de recherche de qualité, on peut citer l’exemple de producteurs à Bali, à Java ou encore à Sulawesi, qui collaborent avec des artisans chocolatiers internationaux pour élaborer des tablettes single origin mettant en valeur les terroirs indonésiens. Ces chocolats peuvent présenter des profils aromatiques allant d’une légère acidité fruitée à des notes de noix, d’épices ou même de tabac, soulignant la diversité des microclimats et des sols sur l’archipel. La reconnaissance de la singularité de ces origines contribue à rehausser l’image du cacao indonésien, jusque-là surtout associé à la production de masse.

Parmi les chocolatiers bean-to-bar qui travaillent ce cacao, on peut citer Taucherli, Rudivo ou encore Willie’s Cacao.

  • Taucherli - KSS Kembrana, Bali 70% Dark Ce cacao unique, surnommé « honey beans », offre des notes douces de miel et un léger goût cacaoté.
  • Willie’s Cacao - Surabaya 69% À l’instar des fèves de Bali, le cacao de Surabaya présente des notes de miel ainsi que des saveurs de caramel sec, souvent qualifiées de « toffee ».
  • Ruvido - Nusa Tenggara orientale, Sumba Gaura 70% Un cacao très fruité, aux nuances fraîches de melon et de pêche, que Ruvido met particulièrement en valeur dans sa recette brute.

Indonesia, Super Santos 75% - Chocolats du Monde

Ruvido - Nusa Tenggara orientale, Sumba Gaura 70%

 

Marques et acteurs locaux emblématiques

  • Pod Chocolate Basée à Bali, cette marque propose des tablettes et des confiseries en privilégiant les fèves locales. Elle insiste sur la transparence quant à la provenance des fèves et sur des méthodes de transformation artisanales.
  • KrakakoaFondée avec l’ambition de créer un impact positif sur les communautés de petits producteurs, Krakakoa valorise des origines issues de Sumatra, du Sulawesi et d’autres régions. L’entreprise promeut une approche durable, allant de l’agroforesterie à l’emballage respectueux de l’environnement.
  • Pipiltin Cocoa - Basée Jakarta,  Cette marque urbaine source ses fèves principalement à Sulawesi et à Bali, en misant sur des partenariats à long terme avec des fermes sélectionnées. Son credo : proposer des tablettes “single origin” et organiser des ateliers pour faire découvrir le processus de fabrication au grand public.

 

Les défis du pays liés à la déforestation et la place du cacao

Malgré cette dynamique positive, la filière doit faire face à des défis majeurs, dont la déforestation, le changement climatique et certaines maladies (telles que le Vascular-Streak Dieback) constituent des menaces persistantes pour les rendements et la rentabilité des exploitations. la nécessité de former les producteurs aux méthodes de culture raisonnées et de post-récolte, ou encore les impacts du changement climatique sur la productivité des cacaoyers. Le gouvernement et différentes ONG déploient des efforts pour promouvoir un modèle d’agroforesterie plus durable, afin de préserver la biodiversité locale et de maintenir la fertilité des sols. Sur un plan socio-économique, la filière cacao soutient la subsistance de centaines de milliers de familles, ce qui confère à ce secteur un rôle déterminant dans la stabilité rurale et l’essor économique du pays.

 

Source RJF - KEYSTONE/EPA/BAGUS INDAHONO

 

 

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